L'émerveillement était un sentiment qui ne te lâchera jamais, tu crois. Tu avais au fond des yeux ces étincelles brillantes brillantes étincelantes qui ne quittaient pas ton regard, ces paillettes de paradis ces graines de bonheur ; tu aimerais bien les cultiver, mais tu sais bien que ce n'est pas possible -et alors tu te contentes de faire pousser tes fleurs de pavot, dont la blancheur rivalise avec ta peau. Oh, elles viennent doucement se balancer contre tes doigts fins ; elles ont dans leurs cellules un quelconque rythme étrange, bien trop rapide pour elles, et elles balancent leurs sépales encore soudés jusqu'à atteindre ton épiderme. Communication mystique oh échange silencieux ; tu dévorais le soleil comme si toi aussi tu en dépendais.
Le Sanctuaire de Cristal dégageait ce calme étrange, ces ondes avec lesquelles tu étais en phase -c'était peut-être elles, les basses de ces coquelicots de paix. Peu importe, il y avait un apaisement dans la lumière dorée qui filtrait à travers les vitraux richement décorés -oh, tout était riche ici, et c'était peut-être la seule remarque que tu avais à faire. Tu paraissais bien simple, assis en tailleur avec ton kimono beaucoup trop pâle pour ce lieu éclatant, mais tu n'avais pas besoin de plus pour prier. Prier prier prier parler discuter se demander réfléchir ; tu faisais tellement de choses en compagnie du Cristal - c'était insensé, mais il était presque comme un ami, un de ceux silencieux qui vous agrippent le bras quand ils savent que vous allez faire quelque chose de stupide. Oh, il était toujours là pour faire de toi quelque chose d'un peu meilleur, tu crois -et en même tant, tu te trouvais démesurément orgueilleux de penser ça. Tant de contradictions, Atlas, et si peu de réponses ; peut-être parce qu'elles n'existent pas.
Et, au creux de ta main, une fleur qui éclot doucement, signe de vie. Ca t'émerveille toujours autant, de voir ces choses vivantes qui s'ouvrent sur le monde -parfois tu aimerais pouvoir leur soutirer des mots, leur demander comment ça fait de naître de fleurir de germer, si c'est si différent de toi. Parfois tu voudrais te souder aux troncs de ces grands oliviers, parfois tu voudrais ne plus vraiment exister. Est-ce que c'est étrange, Atlas ? Est-ce que c'est étrange ?  

Ton mutisme durait toujours des heures, mais il n'y avait pas de gêne pas de regret même au contraire, tu trouvais ça tellement beau ; ça permettait de tout apprécier de tout regarder de ne pas se presser, et il y avait quelque chose dans l'atmosphère, quelque chose d'apaisant. Tu ne te pensais jamais seul, dans le vide sonore - oh les silences ont toujours été les domaines des fantômes. Tu essayais de leur parler, parfois, mais il te semblait qu'ils fuyaient à la moindre syllabe, et tu ne peux leur en vouloir, à ces savants qui connaissent sûrement la force de la bêtise humaine.
Il y a des bruissements, comme des khamsins qui s'entrechoquent qui se défient oh qui se tabassent l'un l'autre ; tintements de cristaux, richesses richesses richesses encore. Tu ne bouges pas, Atlas, tu attends toujours que ces fidèles fassent le premier pas -de toutes manières, tu es toujours avenant ; alors tu redresses ton dos déjà droit et tu fixes le néant de tes yeux fermés.
Mais cette voix cette voix cette voix ; ça semble si risible. Elle n'est pas forte oh peut-être que ce n'était qu'une pensée qui s'est échappée une erreur dans la matrice mais ils ont bien voyagé dans l'espace, ces mots, et tu sens leurs échos dans tes côtes qui vibrent vibrent vibrent -et tu restes si calme, Atlas, alors que déjà se forme cette espèce de carapace oh ce déni, peut-être. Caezar.
Tu ne sais même pas si tu as envie de le revoir ou non, c'est confus confus confus -tu te dis que peut-être il aurait réfléchi, que peut-être il aurait changé d'avis. Sa voix froide froide froide presque agressive ces mots sans émotion son timbre neutre te prouvent le contraire ; c'est peut-être ce qui te mettrait le plus en rage. Mais tu es calme, Atlas, parce que ce qu'on attend plus rien de ce qui nous a déjà déçu.
« Et qui pensais-tu trouver dans ces lieux, Caezar ? » Tu claques son nom dans l'air comme on lancerait un gamin à un voleur de rue, et pourtant ta voix est si posée tout en ne laissant pas de doute -c'est glacial oh le blizzard s'installe et tes yeux clairs s'ouvrent pour découvrir quelques pétales devenus rouges. Rouges.
« Imagine ma propre surprise. » Etranger étranger traître que fais-tu en ces lieux Caezar, comment oses-tu te montrer et sortir cette langue fendue ces crocs assassins ces remarques amères, comment peux-tu encore ne pas venir en rampant comme le serpent que tu es comment comment comment tiens-tu encore debout quand tu es parti si lâchement sans même en discuter ; comment, oh comment, Caezar ? Caezar, Caezar, que fais-tu donc si bas ?
T'es-tu rendu compte que les cieux n'étaient que pour les anges ?

Sa réponse ne te convient pas oh il y a quelque chose derrière tes paupières fermées qui s'éteint qui s'abandonne ; peut-être qu'elle ira rejoindre quelques trous noirs oubliés, cette étincelle à la lumière tremblotante - délaissée. Il savait pertinemment que tu passais la moitié de ton temps aux temples, et même si tu voyageais, Xantu restait ta nation mère -celle qui t'a tant donné, qui t'a tant permis. Tu n'es pas convaincu ; tu n'es jamais convaincu quand l'orage gronde comme un chien affamé au creux de tes entrailles, quand les éclairs absorbent tout autre forme d'énergie. Il y a dans ta respiration mesurée quelque chose qui fait soupirer, quelque chose qui agace -et ce tutoiement pourtant si habituel, il te dérange il te gratte l'oreille fait grincer ta cochlée.
Il continue continue continue ; oh il prétend savoir ce qu'il se passe dans ta tête, mais qui est-il pour y prétendre ? Ce n'est pas la même surprise, pas la même surprise. Comment pourraient-elles être jumelles quand il y a tant de ressentis ô combien changeants contradictoires utopistes dans ton âmes, Atlas ? Gamin. Tu l'as toujours perçu comme tel mais oh pourtant il n'y a qu'un rien de temps entre vos deux naissances ; ou alors peut-être voulais-tu juste lui trouver une excuse. L'envie d'aventure, la spontanéité, ce manque de maturité -et tu ne comprendra jamais Atlas, ce que c'est de ne plus vouloir d'attaches. Mais tu te tais, tu te tais, tu rugis en silence avec tes prunelles devenues carmines oh couleur orage. Et il ose demander.
Tu aurais pu comprendre que ce n'était que de la politesse du respect peut-être voire même de la sympathie mais tu entends prêtresse et ça suffit pour faire sortir les ours sauvages les corbeaux en cage ; tu es persuadé qu'il n'en a rien à faire et tu es si mauvais, Atlas. Si mauvais.
Tes yeux glissent sur le cristal. Est-ce qu'il aurait honte de toi, Atlas ? Est-ce qu'il te regarderait avec des yeux déçus, intransigeants ? Est-ce qu'il te dévisagerait comme toi tu voudrais détailler Caezar ? Tu ne sens rien sur ton épiderme oh pas d'électricité statique pas de frissons pas de messages ; tu gardes ton calme. Les grands discours ne servent à rien. « Comme à l'habitude. » L'habitude, comme si tu parlais de celle d'avant -un monde lointain, un peu poussiéreux voire oublié, oh Caezar Caezar Caezar. Ca pourrait presque paraître conciliant, sorti de ta bouche Atlas, mais tu te contentes de dire ta vérité -avec tes yeux aveugles et tes dénis de toujours. « Et celle de votre nation ? » Tu veux savoir ce qu'il répondra oh quelle sera sa nation, s'il en a encore une ou s'il renie tout tout tout -et si c'est le cas, il n'a rien à faire ici, tu te dis ; mais regardes-toi Atlas, à l'encontre de tes principes. Le culte est accessible à tous.
Et sur ton épaule s'étend une tige de basilic ; sa tendre odeur se répand dans la salle, plante de discorde, elle éclot en sa direction -comme pour se moquer.

Son soupir ne fait que souligner la stérilité de cette situation ; vous êtes comme deux étrangers deux âmes auparavant enlacées mais oh qui se sont délaissées, abandonnées pour d'autres horizons pour d'autres esprits d'autres amitiés. Oh, Atlas ; misérable Atlas. Ca t'a fait mal.
Et alors tu griffes tu grognes en silence tu te détestes et te glorifies ; tu ne comprends jamais vraiment tes pensées tu crois que tu pourrais exploser. Tu crois que tu devrais imploser - ça ne serait qu'à l'intérieur que l'hideux spectacle se déroulerait, est-ce que ça changerait seulement de d'habitude, Atlas ? Tu ne sais pas tu ne sais pas ; dans ton quotidien il y a ta haine ta possessivité ton agressivité dévorantes mais toutes toutes s'endorment au contact de ces Cristaux de ces gens si bons si parfaits, comètes extraterrestres oh morphine qui t'endort. Cerbère. Tu n'as pas suivi ton chemin, tu n'as eu qu'à laisser le courant t'emporter et parfois te noyer -et tu te tiens là, fier. Fier. Mais ravales ta vanité étrange, Atlas, ou vomis-la à sa gueule et rends-toi compte d'à quel point tu es intangible. Poupée de papier mâché. Ses mots te semblent si étrangers ; tu ne comprends pas tu ne comprends pas, comment peut-il ne pas être haineux ? comment peut-il être si droit ? comment peux-tu te laisser aller comme ça, Atlas ? comment peux-tu être froid et chaud, lunaire et solaire, touché et coulé, visé et enterré ?
« Oh. Comment va-t-il ? » Ce n'est que pure politesse oh, tu sais que Caezar s'en doutera mais qu'importe -c'était ta manière de remercier son paternel pour ces anciens moments dorés. Ça semble tellement tellement loin ; tu ne sais même pas depuis combien de temps tu n'as pas revu ce gamin d'Amérys. Bien trop longtemps, crie ta rancœur. Et banalités banalités banalités effleures tes oreilles pointues ; tu restes immobile. S'il voulait rester pour dire de telles platitudes, il pouvait tout autant s'en aller.
Mais le ton s'intensifie oh la pluie s'acidifie ; tu sens ses gouttes s'écraser sur ton visage, tu sens les ondes qui secouent ta gorge prête à hurler. Ta tête pivote vers sa direction mais oh tu t'arrêtes à mi-chemin, levant la main pour accueillir le bourgeon entre tes doigts. Il serpente s'allonge glisse entre tes phalanges remonte le long de ton poignet et retourne se plonger dans l'obscurité de tes vêtements -gavial au repos. « Important. C'est un mauvais mot, je trouve. » Tu n'aimes pas ces notion d'importance, pas sur toi non non non comme si l'on pouvait te classifier -tout ce que tu savais c'était que la Prêtresse était milles pieds au-dessus. Tu ne veux rien savoir d'autre. « J'imaginais qu'au moins tu aurais pu saisir la portée de la fêlure. Il faut croire que nous n'avions pas la même vision des choses. » Ce tu qui glisse qui t'écorche la langue, ce calme toujours quand ta main revient enlacer l'autre à travers ces tiges serrées et oh ton visage tourné vers le côté ; il y a des arabesques pourpres qui décorent ta peau de lait -elles prenaient tout le haut de ta face. Vraiment Caezar ? Tu oses demander des reproches ?

Et les tiges serrent fort fort fort tellement fort ; tu sens tes doigts qui fourmillent oh tes battements de coeur lancinants -ils résonneraient presque dans ta tête si l'autre ne venait pas briser le silence du temple. Tu as toujours aimé le silence, Atlas ; il y a dans ces suspensions du temps quelques magies étranges, de celle qui rendait les gens moins stupides -et tu espérais secrètement qu'elle fonctionne sur toi du mieux qu'elle pouvait. Oh, tu ne sais pas si c'est le cas ou non, finalement, et peut-être ne le saura-tu qu'à la dernière minute, quand il sera trop tard. Qu'importe ; en attendant tu avais cet air immobile qui t'entourait et il laissait tes pensées s'évader s'emmêler s'entrechoquer oh se batailler, et peut-être comprenais-tu mieux le monde à travers ce fouillis. Peut-être.
Il arrive au niveau de ton visage mais pour autant, tes pupilles restent au niveau de son genou -tu ne lèvera pas les yeux pour lui ; tu lui a toujours dit de se mettre au sol pour confronter les gens. C'est si lâche de les prendre de haut. Il te donne un avis que tu ne lui as pas demandé mais oh qu'importe ; de nos temps on interprète les mots comme ça nous arrange. Tu te tais face aux critiques, tu n'as aucun droit et quand bien même tu en aurais, tu n'aurais rien à dire. Ça semble tellement étrange.
Il parle encore, s'explique se défend se justifie ; oh peut-être avait-il raison, peut-être pas. Tu sais qu'aucun de tes mots n'étaient plus haut que l'autre, qu'aucun n'avait de violence propre comme les siens oh non toi quand tu ouvrais la bouche tu avais l'air lassé, comme si tu avais déjà abandonné. Atlas Atlas Atlas, et toutes tes belles leçons sur l'espoir ?
« « Poser la question. » Tu l'as lâchée comme si tu ne ressentais rien. Une remarque, une menace acerbe, quelques mots omniscients. Ce n'était pas une question, Caezar. Une question appelle à une réponse. » Il y a d'autres feuillages qui sortent de ta poitrine, ils dominent bientôt toutes tes jambes toujours aussi immobiles. « Je te parlais de la fêlure en moi. » De celle qui pleure de la sève séchée de celle qui a les yeux embrumés et l'esprit qui tangue ; de celle qui cache un volcan déjà endormi depuis longtemps, fatigué d'abandonner ses filles sulfureuses pour qu'elles s'échouent au contrebas oh de celle qui crisse quand elle se forme de celle qui fait grincer des dents et qui fait mal mal mal comme une douleur fantôme comme un arrière-plan épineux une peine à respirer. « Mais tes soupirs m'en disent bien assez. » Oh ses soupirs si contradictoires à ses paroles ; ses souffles de dragon qui balaient tout et qui brûlent tes tempes. La végétation a continuer son chemin sur ton corps, elle enserre tes jambes en tailleur comme pour te protéger de ces agressions fictives -Atlas Atlas Atlas.

A croire qu'il voulait tout faire pour briser ta paix. Son jeu de jambes ne fait que t'agacer oh il sait que tu n'aimes pas quand on bouge trop au sein du temple -tu préfères qu'on prenne son temps oh qu'on apprécie les secondes qui s'écoulent pour sentir chaque muscle chaque tendon chaque os. Il n'en a que faire ah il virevolte fait bruisser l'air -tu aimerai tellement que la Prêtresse soit là, qu'elle envoûte la salle avec sa voix de cristal et qu'elle fasse taire tout le reste, même ces sombres pensées au fond de ton hypothalamus. Il te parle se pare de beaux tissus pour disparaître derrière quelqu'écrans de fumée mais tu gardes en mémoire que tu ne veux pas ce genre d'excuses oh non. Il pourrait presque t'émouvoir avec sa mère son funeste destin, mais tu restes toujours si froid Atlas, à croire que rien ne t'atteint alors que c'est tellement faux faux faux. Tout est à l'intérieur ; et il y a cette lisse palissade qui rend tout si beau si merveilleux. Balivernes.
« C'est parce que les mots sont lâches. » Parce que les mots sont si étranges ils s'envolent et vous capturent, volent des sentiments des ressentis un peu de vie ; ils prennent ce qu'ils veulent et s'en vont sans même laisser le temps à la réflexion oh brigands traîtres voleurs. Et pourtant, ils peuvent être si doux, si doux et rêveurs, idylliques presque. C'est si étranges, les mots.
Tu n'en as que faire de toutes ces phrases-là oh elles ne te disent rien de nouveau ; tout est tellement faux tellement erroné incorrect, problème dans la matrice. Il parle parle parle et à chaque syllabe il y a ce lierre qui grimpe et qui greffe ta peau oh statue de verdure, piégée par le temps qui court bien trop vite. « Je n'ai que faire de tes discours. » Est-ce que tu comprends, Caezar, qu'il ne veut rien de tout ça ? « Pars si ça te paraît être la meilleure option. On saura alors tout deux à quoi se tenir. » Et tes pupilles animales fixent le cristal dans leur calme éternel. Mais Caezar, est-ce que ça vaut si peu ? Est-ce que tu veux déjà déjà déjà t'en aller ? Renoncer ? On t'a connu plus coriace, Caezar. Son doigt te dénonce encore encore encore ; oh tu rirais presque : il est si facile d'accuser les autres d'être gris quand on est déjà noir.
« Mais dis-moi pourquoi. » Et alors peut-être pourrais-je enfin respirer en paix ; et alors peut-être que les cascades arrêteront de pleurer ; et alors peut-être que les couchers de soleil seront moins carmins. Peut-être. Et je sens sur mes bras sur ma jugulaire ces tiges qui m’enlacent qui me bercent comme pour me dire ne t'inquiètes pas nous somme là et oh Caezar comprends-tu, j'aurai aimé que tu sois là aussi, parfois. J'aurai aimé savoir ce qui n'allait pas -alors regardes-moi dans les yeux, Caezar, et entends mes supplications.

Et dans le temps qui se suspend, tu te sens tellement seul, Atlas. Tu es tellement abandonné, oh esseulé délaissé isolé ; solitaire d'esprit -tu aimerais tellement qu'on reste pour toi, mais on s'en va toujours. Toujours. Et puis tu restes sur le marbre froid, et tu restes sous ces arbres oh tu meurs peu à peu ; il y a ces flammes qui s'étouffent et tu te demandes pourquoi personne n'est là pour les raviver -et tu pleures, parfois, sans te sentir triste ; tu pleures, parfois, parce que tu es si vide vide vide que tu ne sais pas quoi faire d'autre ; et tu pleures, parfois, le dos droit et tes lilas qui te caressent le visage. Oh, Caezar. Vos avis divergent tellement, il y a dans ta poésie quelques espoirs qui s'éteignent à chacun de ses mots -auriez-vous tant changés ? a-t-il fui si loin qu'il est impossible de le reconnaître ? es-tu resté trop enfermé pour pouvoir comprendre ?
Mais oh tu n'as pas baissé les bras ; tu n'as pas ce défaitisme en toi, juste ces mots acides trop forts pour ta bouche pour tes lèvres de joyaux violets, pour ces douceurs de ton cerveau. Et tu entends, tu entends toujours tout ; et tu attends, tu attends toujours trop. Caezar parle beaucoup, ce n'est pas nouveau ; mais la raison semble différente oh il y a dans ses verbes un peu de maturité des choses plus compliquées, et peut-être a-t-il commencé à vivre. Peut-être. « Tes ailes sont à toi, il te revient de les dompter toi-même, Caezar. » Et tes pupilles glissent enfin vers les siennes ; elles sont claires claires presque transparentes oh translucides, elles l'appellent presque, lui disent regarde qui je suis, et elles meurent quand la lumière s'en va. Il y a ce lierre qui monte toujours plus haut et qui enserre ta gorge ; il te tient chaud oh te berce te berce, et tu l'aimes tellement. Tellement. « Tu aurais pu prévenir. Dire au revoir, ou adieu, qu'en sais-je. » Est-ce que tu comprends Caezar, est-ce que tu comprends que ça a fait tellement mal de te savoir parti, de l'apprendre de bouches d'autres quand on se pensait un ami oh est-ce que tu comprends Caezar, comment est-ce qu'on se sent quand on est abandonné quand on est lâché du haut d'un gouffre et qu'on tombe tombe tombe, qu'on vole peut-être, mais qu'on se brise les ailes parce qu'on descend trop vite ? Est-ce que tu connais cette sensation un peu étrange, entre le coeur et les os, celle qui pique qui coince qui congestionne celle qui dérange tout le temps celle qui rend inconfortable chaque seconde chaque pensée -est-ce que tu sais que j'étais attaché et que j'ai saigné quand tu t'es arraché ? Est-ce que tu comprends que je ne t'en veux pas d'avoir couru à défaut de ne pas avoir pu voler ?

On te connaît pour tes faces froides oh pour ne jamais flancher -tu restes toujours si droit si loin si grand ; peut-être n'es-tu qu'une poupée de chiffon ah peut-être que tu n'es que vide et néant, béant. Peut-être qu'au fond, ton cœur n'est qu'écorce comme on le murmure trop souvent ; fourmilière morte pourrie et déjà dépassée, ancienne. Il y a ce contact visuel -oh bien plus dangereux qu'un quelconque toucher- qui dure une fraction de seconde ; ça sera toujours une fraction de trop. Tu n'aurais pas dû regarder ses yeux d'opale, tu n'aurais pas dû admirer sa manière de ne pas s'en faire d'être si décontracté d'être si bien quand toi toi toi Atlas, tu te détruis morceau par morceau. Tu te disloques et tu crois bien qu'aucun filet de verdure ne peut rattraper ces liquides qui coulent, trop chauds trop chauds trop fiévreux.
Il te dit qu'il sait ; ça paraît si facile, comme s'il ne s'en voulait pas comme si ses mots n'étaient que vent et que toi, brindille, tu devais se plier à ses volontés. Non. Non. Tu veux sentir sa peine à lui aussi ; il est si grand devant toi, si grand et si fier -ça doit être ça qui te fait le plus mal. De le voir si bien. Et tu te dégoûtes, Atlas, tu te dégoûtes. Tu t'attaches toujours trop vite, de toutes manières.
« Et qu'est-ce, à part des excuses ? » Et ta voix tremble un peu ; tu en as marre, Atlas, marre marre marre. Tu es fatigué, comme un esprit millénaire ; et ton lierre se replie oh il fane un peu -il se recroqueville, comme pour te laisser la place, comme pour te permettre de crier de t'exprimer, ou peut-être juste pour montrer à quel point tu desséchait, tout au fond. « Pourquoi avais-tu besoin de te croire seul au monde, Caezar ? » Tu sais, on était là. Tous. Moi. D'autres. C'était si compliqué de demander de l'aide ? De laisser un mot sous la porte, un code un souvenir un quelque chose, pour se dire que tout n'avait pas été qu'illusion ? « Pourquoi est-ce que tes mots sonnent si creux ? » Et je demande demande demande toujours, je questionne je fouille je cherche et parfois les réponses griffent elles ruent se débattent -la tienne semble être une championne, Caezar, mais mes plaies me rappelleront quelles erreurs ne sont plus à faire.