Cette rue de Surda était calme à cet endroit là. Le crépuscule recouvrait progressivement la ville, ce qui apportait une touche supplémentaire au silence de cet endroit. Et pourtant, cette atmosphère paisible fut brisée par les talons d'une femme bien plus qu'en colère. Elle les faisait claquer avec fureur, comme pour que l'on s'aperçoive qu'elle était là, et que l'on puisse constater son humeur. Elle portait dans sa main, un gros sac en toile très sûrement rempli de Matirs, qu'elle semblait visiblement tenir d'une main ferme. Entre ses dents sifflèrent des insultes en tout genre. Elle était capricieuse, cette demoiselle.
    Mais que s'était-il passé pour qu'elle soit dans un tel état ? La raison était simple : on avait osé lui parler sur un ton plus qu'insolent, on avait osé lui tenir tête et surtout, on avait osé lui dire qu'elle ne valait rien. A Surda, elle était considérée comme une véritable starlette. Elle était belle, bien formée et sa peau mat brillait au contact du soleil. Elle était d'une riche famille, et s'était marié à un homme aisé. Elle possédait ce que l'on aimait qualifier d'un « talent rare pour la danse » depuis qu'elle était toute petite. On la couvrait d'éloges en tout genre depuis sa plus tendre enfance, et jusqu'à aujourd'hui, personne n'avait osé dire le contraire. Par peur vous dites ? Non, parce que c'était vrai ! En tout cas, c'était ce qu'elle pensait.
    Aujourd'hui elle avait dansé, comme à son habitude dans la rue. Elle avait fait appel à ses esclaves -qu'elle présentait comme ses servants bien sûr- pour composer son nouveau numéro, ayant été trop occupée ces derniers jours avec la gente masculine et féminine à parler...en privé. Elle s'était contentée d'apprendre la chorégraphie par cœur, mais ne manquait pas de danser avec véhémence. C'est cette danse qu'elle produisait en ce jour. Tout était parfait, les gens s'arrêtaient pour la regarder (elle oubliera de vous mentionner ses quelques autres « servants » qui ne servaient pas d'instruments à ce moment ramenaient les spectateurs d'une façon....plus ou moins pacifique), et applaudissaient avec véhémence à la fin de chaque musique, ou lorsqu'ils étaient supposés applaudir en rythme.
    Et puis il y avait lui. Il y avait ce mec là, aux cheveux bleus. Il était difficile de ne pas le remarquer avec une pilosité de cette couleur, bien que le jeune n'avait rien fait pour se faire remarquer. Il passait juste, et ne daigna pas porter son regard sur la cause de tout le bruit produit dans la rue. Alors elle décida qu'elle voulait l'amener à elle elle-même, elle voulait qu'il la regarde elle aussi. Il faisait tâche dans le fond, à regarder son carnet de notes tout en marchant, un petit cristal dans la main. Alors en pleine chanson, se déplaçant gracieusement, elle se dirigea vers lui, et tendit ses bras vers l'étranger. Celui-ci releva la tête vers elle, et déclina son offre avant de reporter son regard sur ses notes. La danseuse, tout sourire insista en essayant de le tirer par le bras, mais il se dégagea en spécifiant qu'il n'était pas intéressé. Comment osait-il, pensa-t-elle ! Comment pouvait-il être aussi inhumain ? Quelqu'un de normal aurait machinalement tourné son attention vers le bruit. Mais lui non, il n'avait pas fait ça, et en plus il se permettait de refuser les invitations d'une aussi belle femme qu'elle. Elle l'avait alors bombardé de « pourquoi ». Elle n'obtint qu'une simple réponse, et avec un ton des plus désagréables :

« Je travaille. J'ai pas forcément envie de regarder quelqu'un se dandiner dans tous les sens. »

    Il avait sortit ça avec ce qui semblait à la danseuse être une suffisance qui l'irritait encore plus. Alors elle insista, mais les réponses furent toujours les mêmes, et le ton de l'étranger devenait de plus en plus sarcastique. Elle grinçait des dents et en oublia même qu'elle faisait une représentation. La musique s'était arrêtée, et les gens observaient la scène qui se déroulait devant leurs yeux. La conversation devenait de pire en pire et la jeune femme perdait sa contenance. Le jeune homme aux cheveux bleus, lui, restait tout aussi calme, et semblait tirer un plaisir innommable de cette situation (du moins, c'est ce qu'elle pensait), arborant un sourire un coin sur son visage. Elle utilisa alors sa dernière cartouche : le pouvoir. Elle lui ordonna de corriger son ton et de la respecter, ainsi que de venir admirer le travail pour lequel elle s'était si durement entraînée, le menaçant d'envoyer ses hommes lui donner une bonne leçon. Ce à quoi l'étranger rigola sarcastiquement.

« Vous êtes pitoyable, vous ne pouvez rien faire vous-même. Ah non pardon, c'est vrai, vous gigotez dans tous les sens. Alors si vous décidez de me faire la peau, faites là de vous même. »

    Elle en était restée bouche bée, et lui avait tracé son chemin comme si de rien n'était, comme si rien ne venait de se passer. C'était dès lors que le feu de la rage s'était déclenché chez elle. Elle avait été tournée en ridicule par cet homme, ce véritable connard, et chaque pas qu'elle faisait dans cette rue ce soir là, laissait transparaître une fureur sans nom.
    Elle avait recueilli des informations sur cet homme, bien décidée à lui donner une bonne leçon. Il avait sut se montrer comme quelqu'un faisant partie de la pire espèce, elle allait donc lui faire ravaler son « ego surdimensionné ». Elle avait appris qu'il s'agissait d'un chercheur en cristaux indépendant, du nom d'Owen Osfrid. Elle ne fut absolument pas surprise d'apprendre qu'il était considéré par beaucoup comme un emmerdeur de première. Eh bien elle en avait fait les frais. Il l'avait ridiculisée, avait traîné son nom dans la boue et avait bien évidemment fait comme si de rien n'était. Pas une seule excuse devant ce qui était pour la danseuse, une injustice totale !
    La jeune femme décida alors de faire appel aux grands moyens : à un mercenaire. Envoyer ses hommes à elle ne serait qu'un trop grand honneur pour cette bouse de yak. Mieux valait envoyer quelqu'un aux mains souillées, probablement aussi souillées que cet espèce de microbe ambulant. On lui donna alors le nom d'un mercenaire, réputé pour sa cruauté, sa soif de sang. Parfait. Elle se fichait pas mal du danger que cela pouvait représenter de demander service à ce genre de personne. Tant que ce qu'elle voulait était fait, elle n'aurait pas de problèmes.
    Elle passa quelques temps à chercher cet individu, que l'on avait dit dans les environs. Elle avait le corps recouvert par un chaperon pour cacher son visage, et le bruit de ses talons s'était atténué. Et c'est là qu'elle le vit, avec ses longs cheveux noirs de jai. Lorsqu'il ouvrit la bouche et se tourna pour lui faire face, un frisson la parcouru. Il avait les yeux d'une couleur rouge sang qu'elle n'avait jamais vue. Cela dit, son humeur lui permit de rester droite et impassible. Enfin impassible. La colère pouvait se lire sur son visage. Ell passa outre le manque d'élégance de l'homme aux longs cheveux noirs et  dit d'une voix sèche et remontée

« Mon nom ? Vous n'en avez pas besoin. Vous avez juste besoin d'une seule chose »

    Elle prit son gros sac en toile contenant un nombre impressionnant de Matirs (cela allait sans dire qu'elle n'avait évidemment pas compté les pièces et les avait enfournées dans le sac jusqu'à ce qu'elle ait l'impression qu'il y ait une quantité proportionnelle à sa demande) et le tendit vers le mercenaire, en décrivant sa cible. Les cheveux bleus, à peu près un mètre quatre vingt, des vêtements Norwéniens, des yeux bleus et probablement avec un cristal à la main, et même d'autres ailleurs. Suite à cette description, elle formula enfin sa requête :

« Allez donner une bonne leçon à ce foutu chercheur en cristaux. »


    Owen, quand à lui, avait fait table rase de cet incident. A vrai dire, il ne l'avait même pas considéré comme tel. Pour lui, il avait juste été confronté à quelqu'un qui était frustrée qu'on ne la regarde pas. Eh bien tant pis, il n'avait pas que ça à faire. Flatter l'ego de quelqu'un, très peu pour lui. Surtout quand cette personne insistait autant. Il avait fait preuve encore une fois, d'un tact légendaire (notez l'ironie de la chose bien évidemment). Il fallait bien que quelqu'un dise les 4 vérités à cette personne. Enfin bon, il n'avait fait que ce qui lui semblait juste.
    A vrai dire, Owen était un peu dans ses pensées. Il n'était pas revenu à Xantu depuis longtemps, et avait décidé de ne pas vraiment s'approcher de la capitale. Il préféra rester dans un endroit plus petit, et moins peuplé. Surda était donc une très bonne destination.
    Cette nuit là, le Norwénien avait décidé de la passer à la belle étoile. Il s'était installé dans la plaine rougeâtre, dos contre un rocher, juste à la sortie de Surda. Il était plongé dans ses notes et gribouillait sur son calepin, tout en observant du coin de l’œil le cristal qu'il tenait dans son autre main. Il l'avait trouvé le jour même dans la plaine et après l'avoir rapidement étudié, s'était rendu compte que sa constitution était différente de celles des autres cristaux de couleur semblable, rouge rubis. Même s'il s'agissait d'un cristal, et pas d'un rubis. Enfin bref, portant autant d'attention à son travail, il n'était pas étonnant qu'il ne profita pas de la vue offerte par Surda de nuit. Nah, il connaissait déjà la ville. Et pour le moment, le cristal était deux fois plus important, au moins.
    Il était assis ici, et ne dérangeait personne. Il commençait cependant à faire sombre, et cela allait être compliqué pour lui de lire et écrire. Il alla donc collecter quelques branches d'un arbre, enfin du moins ce qui ressemblait à un arbre vu que Xantu n'était pas réputé pour ses forêts abondantes, et tout ce qui pouvait se révéler être un combustible. Sa garde n'était jamais vraiment baissée aux alentours de Surda puisqu'il s'agissait d'une ville assez dangereuse, mais bien évidemment, cette attention avait quelques failles, qui pourraient sûrement bientôt lui coûter cher ...