Les meilleurs trésors se trouvaient dans l'intermédiaire, entre le coin des plus pauvres et le coin des plus riches. Les citoyens d'Aktarr le savaient, avec joie ou avec crainte. Les objets disparus ou dérobés à la volée se retrouvaient comme par magie sur l'un des étalages du marché, sans qu'ils n'aient la même identité que celle qu'ils eurent auparavant. Être là sans être là. Être un objet volé et revendu à la sauvette, tout simplement. Cela pouvait être choquant pour les habitants du dessus, ou pour les touristes qui passeraient par là, mais pour les véritables citoyens de la ville, ça n'était que le quotidien. Palmyre réajusta son foulard noir pour se couvrir la bouche et le nez, tout en guettant les passants du recoin sombre de la ruelle où elle s'était cachée. Maintenant, elle ressemblait plus à un garçon qu'à une fille, avec la moitié du visage cachée. Elle observa à nouveau le monde, quelques secondes de plus, en songeant à son père. C'était là où il revendait ce qu'il avait volé, du moins avant qu'il ne se fasse arrêté par les autorités et jeté en prison. Il faisait cela sans même qu'elle ne soit au courant. Elle fronça légèrement les sourcils, tout en repensant au fait que son père leur avait menti, à sa mère et elle.

Elle se glissa dans la foule lorsque cette dernière devint plus épaisse et avança à son aise parmi les gens. Palmyre ne visait pas les plus pauvres. Ces derniers étaient facilement repérables : ils n'achetaient que les denrées alimentaires, s'habillaient tout aussi mal qu'elle, et pour la plupart vivaient dans les bidonvilles. Elle les connaissaient donc plus ou moins, que ce soit de près ou de loin. Il était inutile de causer plus de tort à ces personnes démunies. Elle, elle préférait les proies les plus mauvaises, celles qui vivaient richement et qui n'hésitaient pas à le montrer, sans complexe. Les gros vendeurs, là, elle n'hésitait pas une seconde pour effectuer du vol à l'étalage. Les gros acheteurs aussi, ceux qui venaient des quartiers riches mais qui voulaient tout de même acheter au rabais. Et pour finir, les proies les plus simples, et souvent bien garnies, les touristes. Une expression mi curieuse mi paumée sur le faciès, une façon de marcher hésitante... Et tous ces autres comportements qui donnaient les ouvertures les plus faciles.

Bien sûr, Palmyre ne pouvait pas voler tout le monde en même temps, et même en se concentrant une journée entière, cela était impossible. Elle se ferait coffré comme le fut son père. Et se faire prendre la main dans le sac était une erreur des plus terribles. Elle se devait de trouver la bonne personne, celle à laquelle elle était persuadée qu'elle y trouverait une belle somme d'argent. Ses yeux se tournèrent un instant vers un homme qui marchait d'un pas tranquille. Elle ne le connaissait sûrement pas, mais son accoutrement et son attitude lui disaient que ses bourses devaient être largement remplies. Les gros poissons, elle en croisait rarement. C'était l'occasion ou jamais. Elle s'en approcha en gardant une légère distance, puis profita d'une autre personne passant près de lui pour se saisir de la bourse qui était attachée à sa ceinture. Oui, elle sentit qu'elle était bien remplie, au simple touché. Cela ne lui était pas arrivé depuis des lustres. Elle sentait déjà l'odeur des bons petits plats et voyait les visages joyeux des enfants des bidonvilles. Mais lorsqu'elle tira pour faire glisser la bourse et s'en aller avec, celle-ci ne bougea pas. Pourquoi ?! Pourquoi maintenant ? Il avait du solidement l'attaché avant de partir, le bougre ! Elle devait vite s'en aller avant qu'il ne se retourne. Mais la bourse était tellement alléchante que Palmyre décida de tirer plus fort plutôt que de partir en courant...

Quelle idée tirer comme ça ! Elle savait pourtant, et pertinemment, que tirer une deuxième fois était la pire chose à faire. Le mieux, dans ces moments là, c'était de s'éclipser, puisque lorsque le plan tombait à l'eau, l'arroseur se retrouvait tout simplement... arrosé. Et c'était ce qui lui arrivait à ce moment même, alors que l'homme qu'elle avait essayée de voler se sentait bien malin de lui faire remarquer qu'elle était désormais totalement ridicule. Palmyre lâcha la bourse sans plus de cérémonie, tout en lançant un regard noir au touriste aux cheveux blonds, qui ne dura qu'une seconde. Elle n'allait pas s'excuser, c'était totalement inutile. D'ailleurs, de quoi s'excuserait-elle ? D'être pauvre, et qu'il ait les moyens de vivre sans problèmes ? D'être réduite à voler aux autres et que lui puisse acheter tout ce que bon lui semble sans avoir de remord dans la conscience ? Qu'il aille se faire voir, lui et ses bijoux qu'il exhibait ! Bijoux qui brillaient et qui ne se gênaient pas à lui rappeler que leur valeur aurait pu nourrir les enfants des bidonvilles pour au moins un mois, si ce n'était un an.

La petite brune à lunettes s'éloigna à regret de la source d'argent, consciente qu'il était totalement inutile d'en faire plus. Elle s'engouffra discrètement dans la foule, se frayant une chemin, comme à son habitude, prenant soin de ne pas trop se faire remarquer. Elle glissa discrètement une main dans la poche d'un passant en avançant, puis s'en écarta comme une ombre, soulagée d'avoir au moins pu obtenir une bourse maigre, plutôt que de retourner chez elle bredouille. La jeune fille savait qu'elle avait été totalement stupide, et surtout voyante aux yeux des autres. S'attarder à encore tenter de voler les autres serait risquer de se faire avoir une fois de plus, et peut-être de finir dans une situation bien plus problématique que celle d'être sans le sou.

Elle rebroussa donc chemin, à grand regret, en s'en voulant tout en voulant au monde entier d'être dans de sales draps. Et ce type, si elle le retrouvait un jour, elle n'hésiterait pas à voler tout ce qu'il avait de précieux, la prochaine fois. Voyant qu'elle s'était un peu éloignée du monde, elle sortit la petite bourse volée qu'elle avait dissimulée dans sa poche et l'ouvrit pour voir ce qu'il y avait dedans. Ses sourcils se froncèrent et la déception se fit plus grande lorsqu'elle découvrit ce qui s'y caché à l'intérieur. Des herbes. Des herbes ! Mais qu'est-ce qu'elle allait bien faire avec des herbes ?!! Elle soupira en enfonçant la bourse dans sa poche, pensant que peut-être ces plantes valait quelque chose si elle les vendait à la sauvette, tout en continuant d'avancer en direction des bâtiments les plus détruits. Peut-être pourrait-elle retourner voler dans les marchés plus tard, avant la tombée de la nuit ?

La jeune fille n'avait pas remarquée qu'on l'avait suivi, trop occupée à avancer droit devant elle en insultant le monde intérieurement, toujours aussi déçue du peu qu'elle avait obtenue alors qu'avec un peu de chance, elle aurait pu en avoir bien plus dans les poches. L'air renfrognée qu'arborait son visage fut vite remplacé par la surprise lorsqu'elle entendit des pas se rapprochaient d'elle. Cela aurait pu être un habitant des bidonvilles qui retournait comme elle dans le trou. Elle aurait salué la personne, si c'était le cas, du moins. A la place de cela, elle aperçut l'homme du marché, le même qu'elle avait tentée de voler, marchant à côté d'elle. Palmyre s'éloigna un peu de lui tout en le regardant du coin de l'oeil. Peut-être était-il en colère de ce qu'elle avait fait. Des gens qui s'en prenaient aux voleurs, y'en avait plein. Elle avait déjà été confrontée à cela, et les semait rapidement, ils n'avaient souvent que peu de connaissance du terrain. Au pire des cas, elle pouvait toujours user de ses dons, mais un affrontement direct était trop risqué. Elle demeura donc un peu en retrait, en le jaugeant, tandis qu'il s'adressait à elle.

Aucune hostilité ne ressortait de sa voix, ce qui n'était pas mauvais signe, mais elle préférait rester sur ses gardes, toujours hésitante quant aux intentions du blond. Il la vouvoyait ? Ce n'était pas habituel à ses oreilles, et elle cru bien pendant quelques secondes qu'il était en train de se moquer d'elle. Tout en réajustant ses lunettes, elle répondit :


-Avec ce monde, c'était trop risqué. Je ne veux pas essayer la prison.


Là dessus, autant répondre franchement, puisqu'elle n'y voyait rien de trop personnel à dire. L'homme marchait toujours à sa hauteur, bien déterminé à ne pas la lâcher. Peut-être préparait-il quelque chose. Elle ralentit légèrement le pas, tentant de rallonger le moment où elle rejoindrait les bidonvilles, motivée à le semer avant. Il soupirait maintenant en constatant qu'Ilgarde était un enfer. Et que devait-elle dire ? "Merci, c'est très aimable de le faire remarquer" ? Elle soupira à son tour, plus agacée par ces remarques qu'autre chose. En attendant, elle ne savait toujours pas ce qu'il lui voulait. Elle arrêta brusquement sa marche, puis fit face à l'étranger.


-Que voulez-vous ? Pourquoi vous me suivez ? Dit-elle, méfiante.


Maintenant, la brune s'attendait à tout, et était prête à fuir s'il le fallait.