the fall

Le souffle suspendu au bout d'une lente inspiration, elle jeta un regard au-delà du coin de la rue ; personne. L'agitation était plus loin, au cœur de la place du marché. Et vu l'heure, ce serait bondé. Le cadre parfait pour agir, discrète lame ne sortant de son fourreau qu'au bref moment de frapper.

Le brouhaha n'était plus qu'un bruit de fond pour elle lorsque son regard enfin trouva sa cible. Il était là, ne se doutant de rien ; insouciant comme chacune de ses victimes, surtout celles ne se pensant coupables de rien. Mais lui, il devait bien se douter que quelque chose allait finir par lui arriver, n'est-ce pas ? La politique était rarement quelque chose de sûr, qu'importe le côté que l'on pouvait rejoindre. Et lorsqu'on était un notable trempant dans les affaires d'un certain parti politique, il valait mieux se méfier.

Sans un son ni geste brusque, elle remonta sa capuche, et s'avança. Ses pas étaient légers et rapides, surs ; pas une seule hésitation ne semblait exister chez elle, quoi qu'il arrive. Et c'était surement là ce qui lui permettait d'être si efficace, quoi qu'il arrive, ou presque.

Pouvoir se faufiler entre les personnes présentes comme si elle n'était qu'une ombre, une âme sans présence, avait quelque chose d'assez particulier. Peut-être était-ce pour cela qu'elle portait des tenues si peu discrètes, pour compenser cette tendance à ne pas exister aux yeux des autres si ce n'est en tant que détail insignifiant dans le décor. Et peut-être bien qu'une part d'elle se sentait parfois blessée par cette vérité à laquelle elle ne pouvait échapper.

Pas le temps d'y penser pourtant, elle était juste derrière lui. Son souffle à nouveau se suspendit alors que sa main armée émergeait du tissu épais de sa tenue ; un poignard d'une sobriété n'égalant que son efficacité.

Le geste fut prompt, et d'une mortelle précision : sous l'aisselle, en direction du cœur. Fatal mais discret, imperceptible. Il ne tomberait pas avant qu'elle s'en aille, le contournant l'air de rien, mais avec un mauvais pressentiment au creux de l'estomac. Et ce fut une ruelle qui l'accueillit une fois de plus, son dos se reposant contre la pierre et sa capuche retirée. Mais quelque chose n'allait pas, pas du tout. L'impression d'avoir un regard fixé sur elle.

Alors elle leva les yeux, la main déjà glissée contre le manche de sa lame. Cherchant ce qui la dérangeait tant tout à coup.

the fall

Ca n'était pas la peur qui dominait sa personne en cet instant mais plutôt la méfiance ; après tout elle n'avait pas à craindre les répercussions de son geste, la guilde lui donnait le droit de tuer. Et rien que ce simple fait lui permettait d'agir sans la moindre crainte. Oh, cela ne rendait pas la chose plus facile, mais elle avait tendance à cesser de penser à la personne en face d'elle lorsque le moment de frapper arrivait, se concentrant sur la lame et sa main ; plus aisé ainsi de mener à bien son contrat.

Oh oui, elle avait entendu ses pas, et son souffle. Quelqu'un se rapprochait et quelque chose lui disait qu'elle était ce qu'l cherchait à atteindre. Alors ce fut sans surprise -ou presque- qu'elle finit par faire face à une silhouette bien plus élancée que la sienne, une silhouette toute de beige vêtue si ce n'est une tache de pourpre. À la fois discret et pourtant remarquable, à l'opposé de sa propre personne et son accoutrement.

Son regard ne semblait pas vouloir se détacher du sien, qui pourtant avec quelque chose inspirant la méfiance ; non, elle lui rendait le geste sans ciller. « Ça ne me concerne pas. Seul le résultat m'importe, pas les conséquences. » Un bref souffle lui échappa, l'esquisse d'un soupir alors qu'elle gardait sa posture, une main toujours glissée sous le lourd tissu dissimulant ses hanches. La méfiance après tout était toujours de mise, plus encore face à un individu encapuchonné l'ayant remarquée si facilement. Il était somme toute une menace, autant pour sa personne que sa réputation. Et plus encore, une atteinte à sa fierté personnelle.

Elle fit pourtant un effort pour calmer son souffle, sa poitrine se soulevant de plus en plus lentement jusqu'à devenir presque inaudible ; elle sembla même se détendre un peu, restant cependant à l'affut. « Comment ? » Comment avait-il pu la voir ? Personne ne pouvait, à moins d'être particulièrement entrainé ou de savoir qu'elle serait là, de savoir quoi chercher. Et cela ne pouvait être un autre membre de la guilde : sans connaitre leurs visages, aucun d'entre eux ne s'amuserait à faire cela, et encore moins à compromettre l'anonymat d'un autre membre.

« Qu'est-ce que vous voulez ? » Autre souci. Personne ne venait la voir sans but, la plupart du temps, un autre (dés)avantage de son don, bien qu'elle soit capable à ce jour de le contrôler. Que lui voulait-il ?

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Moutons n'aurait pas été le terme qu'elle-même aurait utilisé à vrai dire. Le fait est que ce qui se passait une fois que sa main avait frappé n'était nullement de son ressort, et elle n'avait pas mémoire d'une seule fois où elle avait pu s'en soucier.

Essayait-il de la rassurer en lui disant cela ? C'était presque suspicieux, et si son but était de la rassurer ou d'apaiser sa méfiance, eh bien le résultat était tout le contraire. Elle ne se détendit pas, toujours alerte et prête à agir si jamais il tentait quoi que ce soit. Et, quoi qu'il se passe ? Allait-il se passer quelque chose ? Dulce n'avait pas en tête d'agir, surement pas de l'attaquer sans que lui fasse le premier geste. Car autant le dire, elle n'avait pas le moindre intérêt à s'attirer des ennuis en dehors de son occupation ; elle n'avait rien d'une fauteuse de trouble.

L'espace d'un instant sa prise se resserra sur le manche de son arme, tandis qu'elle le voyait bouger ; fausse alerte cependant, il ne faisait que retirer sa capuche. Et elle n'eut aucune peine à reconnaitre la crinière dorée et le regard rougeoyant, sans en être émue pour autant. Un emmerdeur royal ne valait pas vraiment plus qu'un emmerdeur lambda. Par contre la petite démonstration de don qu'il lui fit, elle, sut capter son attention. Au moins cinq petites minutes. Et ce qu'il venait de lui confier laissait dans sa gorge un goût bien amer, celui de la remarquable banalité qui était son fardeau.

Elle n'avait pas bougé, pas un instant, et même refusé l'offre d'eau d'un hochement de tête négatif. Non, elle n'avait pas soif. Et elle n'aimait pas cette situation, ni cet homme, qu'importe qu'il soit général, de la royauté ou des bas-fonds. « Je ne suis pas intéressée. » Son souffle avait à peine vacillé en disant cela, elle gardait un ton mesuré et son regard rivé au sien.

Il lui fallait un échappatoire, quelque chose pour lui échapper. Il y avait quelque chose de dérangeant dans son regard, dans sa façon de la fixer. Ca n'était pas faute pourtant d'avoir un faciès avenant, oh non, et même une aura quelque peu… électrisante. Mais la tueuse n'aimait pas cet intérêt qu'il lui portait. « J'ai encore du travail. » Une moue froissant son minois, et ses prunelles améthystes rencontrant les deux rubis adverses avec toujours autant de sérieux. « Et je ne suis pas un objet de collection. » Car s'il n'avait en soi pas le moindre intérêt, ce qu'elle savait de lui suffisait à vouloir s'éloigner au plus vite. Elle n'avait pas de temps pour ça.

Sa délivrance se présenta sous la forme d'un groupe de gardes poursuivant une bande de probables. C'était peu mais suffisante confusion pour s'échapper. Alors elle n'hésita pas lorsqu'ils passèrent derrière eux, la petite demoiselle se faufilant entre eux pour atteindre la rue perpendiculaire, plus étroite que celle qu'elle venait de brusquement quitter. Et ses pas ne s'arrêtèrent pas avant qu'elle ne puisse pénétré dans ce qui devait être une vieille maison abandonnée ; deux étages couverts de poussière, des fenêtres à moiti. Barricadées, et une pénombre bienvenue.

Oh, elle était probablement sotte de penser lui échapper comme ça, mais peut-être ne la suivrait-il pas. Et elle remonta sa capuche, toujours attentive et alerte à son environnement. Suffisait de monter et rejoindre le toit pour s'en aller.

the fall

C'était naïf que de penser pouvoir lui échapper si facilement. Si ce qu'elle avait entendu dire sur son compte était vrai, la demoiselle n'allait pas pouvoir lui filer entre les doigts si aisément, et ce malgré certains de ses avantages. La peur en cet instant n'était étonnement pas l'émotion dominante. Non, ce qui occupait son esprit dans l'instant présent, alors qu'elle s'écartait de l'entrée pur rejoindre les escaliers poussiéreux, c'était plutôt une espèce d'agacement mêlé d'incompréhension. Dulce n'avait ni le temps ni l'envie de se prêter à son petit jeu tordu ; sa vocation n'avait jamais été de distraire autrui, et elle n'allait pas commencer aujourd'hui.

Ses pas étaient légers et lests, effleurant à peine chaque marche, son attention toute dirigée vers le moindre bruit suspect, au point même de réduire son souffle à un simple frémissement inaudible. Et elle en était certaine, il n'était pas loin.

Le soleil quelques instants l'éblouit, ses yeux déjà prompt à s'adapter à la pénombre du bâtiment précédemment quitté. Tout juste eut-elle le temps de se redresser, le bruit de la trappe reliant le second étage et le toit masquant l'ombre d'un juron passant ses lèvres. « Qu'est-ce vous comptez faire de moi de toute façon ? Me mettre dans une cage, ou m'épingler sur une toile comme un insecte ? » C'était une légitime question à vrai dire, mais la blonde ne comptait pas lui laisser le loisir d'y répondre sans bouger. Attentive à son environnement, sa première réaction avait été d'observer les alentours pour une possible échappatoire. Une observation qu'elle allait mettre à profit dans l'instant.

L'avantage de ce quartier en particulier était que les maisons et autres bâtiments étaient construits de façon proche ; suffisamment du moins pour qu'une personne entrainée puisse se servir de leurs toits plats pour se déplacer. Ou fuir, dans le cas de l'assassin.

Guérie de sa naïveté passagère, elle savait très bien qu'il n'arrêterait pas là. Elle l'avait vu, autant dans son regard que sa façon d'être. Tenace, voir même obstiné, se défaire de lui ne sera pas aisé. Ce qui ne l'empêcha pas se traverser plusieurs toits, sa silhouette parfois disparaissant derrière le linge coloré étendu là sur des lignes tendues à cet effet ; rien qui ne saurait le confondre ou le perdre, assurément, mais peut-être au moins le ralentir un peu.

Les toits ne continueraient pas éternellement, et il faudrait bien trouver autre chose. Nouveau plan, une fenêtre, appartenant à un bâtiment plus haut que les autres. Bâtiment qu'elle reconnaissait d'ailleurs à ses tentures bariolées et la musique s'en échappant, mais aussi parce que plusieurs amies y travaillaient : un lupanar très fréquenté. Et en l'occurrence, une sortie de secours pour cette fuite qui ne menait à rien.

Il lui fallut jauger quelques instants la distance, après avoir jeté un coup d'œil derrière son épaule, son souffle court laissant transparaitre son agitation. La peur n'était toujours pas au rendez-vous, et à moins qu'il ne manifeste une quelconque intention de la blessé, il n'en serait pas le cas. Un pas suivit d'un second, et elle sauta, agile et précise, prouvant que ce n'était pas la première fois qu'elle s'adonnait à ce genre d'acrobaties ; un soupire et elle haussa son poil plume par-dessus le rebord de la fenêtre, non sans causer cris et émoi, de la part des jeunes et moins jeunes femmes cherchant un peu de repos dans cette pièce leur étant dédié. Chose dont elle ne se formalisa pas, évidemment. Tout ce qui comptait, c'était qu'il était fréquenté à l'heure actuelle, et que sa tenue était pour une fois presque raccord avec son environnement : un avantage indéniable.

Cette fois, ce fut sans s'arrêter qu'elle traversa la pièce, emplie de lourdes effluves parfumées, roses du désert et épices notamment, probablement du tabac également. La porte fut poussée, pour débarquer sur un couloir animé au centre duquel trônait l'escalier menant au réz, et à la sortie. C'était un pari risqué, d'ainsi se faufiler dans un endroit aussi clos, mais elle n'avait pas trop eu le choix. Et c'est là qu'elle eut une idée.

La porte d'une chambre vide se ferma rapidement derrière Dulce, à présent dépouillée de sa cape carmine, le souffle court et loin de s'apaiser. Si le plan marchait, il la confondrait surement avec Amirah, qui en ce moment portait le vêtement qu'elle lui avait confié, dévalant les escaliers à grande enjambée pour rejoindre la sortie. C'était une chance de l'avoir vue, et le fait qu'elle partageait sa stature et couleur de cheveux l'arrangeait entièrement.

Et si elle doutait franchement réussir à le berner avec ça, peut-être serait-ce une distraction suffisante pour lui permettre de s'échapper et rejoindre la guilde. Là-bas, il ne pourrait pas mettre la main dessus. Du moins l'espérait-elle.